Des Dominicales qui réveillent !

[ Vu & Entendu par Tiphaine Lucas ]

"La seule différence entre un ouvrier et un musicien de jazz, c’est que le musicien n’a pas de lampe frontale". Cette citation du jazzman suisse Daniel Humair est brillamment illustrée par l’Orchestre de l’HEMU lors d’un concert ancré dans l’urbanisme et les influences jazz des compositeurs classiques du début du siècle dernier.

Dimanche 22 janvier 2023, dans le cadre de la saison de l’OCL, les compositions de Nantaya, Honegger, Saint-James et Prokofiev plongent l’auditoire de la salle Métropole dans un univers fantastique de machines et de bruits : des œuvres compactes, une impressionnante densité orchestrale, des rythmes lancinants.

Surnommée un temps par le compositeur russe "symphonie de fer et d'acier", la symphonie n°2 est l’une des œuvres les moins jouées et les plus avant-gardistes de Sergei Prokofiev.
"C’est de la matière brute à travailler", nous dit le chef d’orchestre Aurélien Zielinski. "Il y a un vrai travail d’orchestre à faire, de compréhension de thèmes, mettre en relief les différents éléments. Ce premier mouvement, c’est un mur qu'on se prend dans la tête…" Composée en 1924 dans une toute nouvelle union soviétique, en seulement deux mouvements, cette symphonie s’inscrit dans une ardeur machiniste qui rappelle les bruits de la ville et des usines, une dimension que l’on retrouve dans Pacific 231 d’Arthur Honegger.

En début de concert, Alex Nantaya transgresse les codes classiques pour nous faire écouter une prestation de live électronique qui honore l’œuvre d’Honegger qu’elle introduit. Les bruits de foule enregistrés, les basses puissantes et les événements sonores en direct redessinent un univers urbain moderne et surprenant, en se servant du chemin de fer comme témoignage d'une époque. Il y a un siècle, Arthur Honegger proposait avec Pacific
231 une œuvre non seulement inspirée du monde des locomotives, mais aussi influencée par les sonorités du jazz qui prend son essor dans le Paris du début du XXème siècle, notamment dans sa dimension rythmique : "Le rythme est immuable, c’est à nous de trouver notre chemin à l’intérieur, souligne Aurélien Zielinski. C’est souvent l’inverse en classique, surtout chez les romantiques où le rythme s’adapte vraiment à la mélodie, même si beaucoup de compositeurs du XXème siècle se sont émancipés de ce passé."

Et si ces influences ne sont peut-être pas évidentes au premier abord dans Pacific 231, Saint-James nous fait entendre un mélange de genre assumé dans sa Symphonie "bleu". Pour le chef d’orchestre, l’élasticité d’un orchestre d’étudiant·es est alors un atout de taille grâce à l’absence de résistance à la direction, et à la qualité de l’écoute de la batterie, responsable de la direction rythmique en collaboration avec le maestro.

Cette symphonie, dont la couleur fait plus référence au bleu de travail des ouvriers qu’à la fameuse blue note, restaure les relations entre l’être humain et la machine en mêlant des rythmiques industrielles et un swing typique de la musique jazz. "La musique est fortement influencée par les progrès technologiques", nous dit le hautboïste Nicky Schmidli, étudiant en Bachelor auprès de Jean-Louis Capezzali. "Par exemple, le saxophone est un instrument né pendant la révolution industrielle, même s’il a surtout été popularisé au début du XXème siècle!". Lucille Bricout, violoncelliste étudiante en Bachelor chez Xavier Phillips, souligne la richesse de l’expérience de la musique jazz en tant que musicienne classique : "on a tendance à avoir dans le classique une certaine rigueur rythmique, mais dans cette musique, il faut être extrêmement souple, se laisser porter par le groove".

Ainsi, la Symphonie "bleu" allie à la fois la rigueur des codes classiques et la souplesse de jeux d’improvisation, ce qui fait d’elle une œuvre en perpétuel mouvement.

Compte rendu deTiphaine Lucas, violoncelliste étudiante en Master auprès de Xavier Philipps.

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